VERTICALE DU

CLOS JOLIETTE

 

 

Le 27 avril 1998

 

 

 

Ordre de dégustation des 7 vins retenus :

- vin sec : 1971

- vin demi sec : 1965

- vins doux : 1986, 1983, 1978, 1973, 1975 (en tenant compte de l’article de René Brousse, on a considéré qu’il était pertinent de goûter le 75 après le 73)

 

Le montage de cette dégustation a été inspiré par la lecture d’un article ancien de la revue “ Le Rouge et le Blanc ” (n°29 de Décembre 1991 - Dégustation effectuée en 91, article rédigé par René Brousse). Le lecteur pourra se reporter à cet article pour obtenir des informations techniques détaillées sur le domaine et ses vins ainsi que la consignation des résultats de la dégustation effectuée à cette époque.

 

 

Préparation des vins :

Une bonne aération des vins s’avère nécessaire (nous les avons carafé 2 heures avant la dégustation).

La pertinence du carafage a suscité quelques interrogations, vite dissipées, car pour les vins retenus, l’oxygénation s’est révélée bénéfique (intensité, complexité, les vins poursuivant leur ouverture dans le verre - verre INAO de dégustation - au bout de quelques minutes).

La température idéale de service est de 14/15 degrés (on constate sans surprise que la froid entrave l’expression aromatique alors que le chaud augmente la perception alcoolique).

Il n’a pas été nécessaire de décanter les vins (pas de dépôt notable).

 

Description générale :

 

Robes :

- une certaine homogénéité de très jolies teintes : vieil or, reflets orangés

- pas d’évolution très marquée (pas de notes brunes)

- brillantes (pas de troubles, décantation inutile malgré une absence de filtration des vins)

 

Nez :

l’agitation (ainsi que le temps) amplifie et complexifie bien évidemment les perceptions aromatiques, dans la palette suivante :

- agrumes (zeste, orange confite), abricot confit, exotique (ananas, mangue)

- épices (poivre, gingembre, muscade, notes anisées)

- havane

- miel

- notes tertiaires de truffe (plaisamment caricatural sur le 78), de champignons et de sous-bois

- au bout de quelques minutes apparaissent des notes de café

 

Bouche :

- on retrouve les notes identifiées au nez et des notes d’agrumes (pamplemousse, citron)

- les vins sont assez vifs et francs (ce ne sont pas des vins pommadés)

- les bouches sont amples, présentent une belle acidité et expriment fortement la truffe

- finales fraiches (anis, notes mentholées, eucalyptus)

- taux de sucre faibles (nous l’estimons de l’ordre de 30 à 50 grammes/litre)

- la rétro-olfaction dévoile des notes de caramel, d’épices douces, de gingembre

 

 

Synthèse et description de quelques particularités :

Les commentaires des différents participants sont fournis ci-dessous. J’espère en donner ici une synthèse fidèle, car la dégustation étant organisée dans une perspective plus hédoniste que véritablement professionnelle, un secrétariat rigoureux et systématique n’a pas été assuré.

Les notes sont données à titre indicatif (les moyennes n’ont pas été gérées de manière rigoureuse puisqu’il n’était pas convenu que tous les participants attribuent une note aux vins). Elles fournissent une photo (dans un contexte donné : lieu, temps) et ont une valeur relative.

La référence à un barème exprime une volonté de qualifier les vins goûtés selon une classification à vocation plus absolue. Ce barème est une référence qui permet de mieux se comprendre.

Au delà des polémiques infinies qui existent dans le domaine du jugement des vins (tout propos pouvant être démenti), rappelons par ailleurs que dégustation est un exercice instantané, complexe, périlleux et une école de modestie.

 

 

> 75 : vin exceptionnel (18,5/20)

Complexe, persistant. Vin de plaisir très équilibré. C’est le vin qui donne la sensation liquoreuse la plus prononcée (concentration et élégance)

 

Ce 75 est un vin fin, complexe, fondu, harmonieux, très gourmand.

 

> 71 : très bon vin (17/20)

- le nez présente curieusement des notes réduites (notes animales) qui coexistent avec des notes d’oxydation (fruits secs)

- l’expression de champignon se rapproche peut-être plus de la morille fraiche ou du cèpe que de la truffe

- en bouche, le vin rappelle un vin jaune

- la finale est balsamique (bonbon des Vosges) et épicée

- le verre vide dénote des senteurs de cacao, de fruits secs, de café

- ce 71 est de l’avis général un vin étonnant, déroutant, hors norme

 

La vinification a produit cette année là un vin sec qui s’avère le plus surprenant de tous. Ce 71 apparait comme un vin de race, de classe, voluptueux et très persistant.

 

Il faut noter que ces deux derniers vins des années 70 semblent avoir peu bougé et donnent l’impression que les vins produits à Joliette sont inusables (le 65 viendra contredire plus loin un tel propos, mais il est vrai qu’il affiche déjà un âge respectable).

 

>  83 : très bon vin (16,5/20)

- le nez exhale des arômes de café, chicorée, réglisse, camomille, beurre frais

 

Ce 83 se présente comme un très bon Clos Joliette.

 

> 78, 73 : bons vins (15,5/20)

> 78 :

- au nez, expression aromatique intense de truffe noire (certains penchent plutôt pour la truffe blanche)

- en bouche, un dégustateur remarque qu’il a l’impression de croquer dans une truffe fraiche

- la rétro-olfaction décèle des notes brulées

> 73 :

- ressemble à 78 en plus simple et moins intense

- la bouche est moins volumineuse

 

Pour certains participants, le 78 parait plus complet, plus riche que le 73.

 

> 65 : bon vin (14/20)

- vin dissocié

- finale légèrement acétique

- matière en retrait, ce vin nous parait clairement en déclin

 

Ce 65 est à boire d’urgence (il aurait du être bu depuis plusieurs années) !

Par rapport au commentaire plutôt flatteur de l’article de René Brousse, plusieurs hypothèses sont plausibles :

     - le vin est issu d’un autre barrique (Mme. Migné procédait à des vinifications séparées, sans assemblage final - c’est le côté roulette russe que certains connaisseurs reprochent à ces vins)

     - l’origine est la même mais l’évolution du vin est défavorable (on le déguste 12 ans plus tard)

     - l’origine du vin est la même mais la conservation de la bouteille n’a pas bénéficié des mêmes conditions

 

Au vu de la cohérence d’ensemble de nos commentaires avec ceux de René Brousse, on peut pencher pour la 1ère solution, en tenant tout de même compte du fait que cette divergence s’exprime sur le vin le plus vieux.

 

> 86 : assez bon vin (13,5/20)

- fermé, bloqué par le soufre (même commentaire que René Brousse)

- hydrocarbure, caoutchouc

- notes liégeuses

- notes variétales du petit manseng : exotique, agrume (on rejoint ici aussi le commentaire de René Brousse, qui estime le vin proche du fruit)

- finale pamplemousse, légèrement amère

- manque de liqueur, de concentration, de charme

 

Ce 86 est simple, court et décevant. Il est nettement en retrait par rapport aux autres millésimes.

Les vins produits par Mme. Migné subissaient un élevage en barrique (4 ans) puis une conservation en bouteille (5 ans) particulièrement longs.

Ce millésime, dernier millésime produit par Mme. Migné, a-t-il souffert de conditions d’élevage et de conservation défavorables (les vins ayant été prématurément vendus aux enchères) ?

 

 

Description de quelques interrogations :

a- Certains vins présentent des notes liégeuses (ce symptôme est très net sur le 86) 

Ces notes sont-elles liées à des types de filtrations particuliers, de type filtration sur torchon ?

 

b- La perception de soufre vient parfois très discrètement pervertir les sensations du nez. Or, M. Tircazes nous a rappelé que les vins de Joliette n’étaient pas traités au soufre.

Cette présence est-elle liée au traitement sanitaire des barriques par mèches soufrées ?

 

c- Sur cette dégustation, les années 80 se révèlent moins intéressantes que les années 70.

Y a-t-il eu une évolution dans la gestion de la vigne, dans la fabrication du vin ?

Quelle sera leur évolution (à revoir dans 5 ou 10 ans) ?

 

d- Le manque de recul rend leur association avec un plat un exercice difficile. Nous les avons en fin de dégustation regoutés sur différents types de fromages (ceci nous a notamment permis d’harmoniser nos commentaires). Pour sa part, Robert Vifian, du restaurant Tan Dinh à Paris, qui reconnait au 71 le titre de vin mythique et prestigieux, recommande dans un article publié dans la revue International Vintage Magazine et consacré aux accords met/vin des piballes cuisinées au gras de jambon ou à la ventrêche.

Je pense que ce sont des vins qui se suffisent à eux-mêmes en début ou en fin de repas, vins de classe et de méditation pour esthètes et épicuriens.

 

 

Remarque : Nous ne connaissons pas les vins de Joliette produits à l’heure actuelle par le nouveau propriétaire.

Quel est leur profil, leur qualité moyenne (il est manifeste que le domaine posséde un terroir exceptionnel) ?

 

 

Conclusion :

Beaucoup d’échanges ont animé une dégustation qui nous a procuré de grands plaisirs. Ils traduisent l’intérêt porté à un vin riche et unique, très différent des meilleures cuvées produites à l’heure actuelle dans cette région pyrénéenne. Le très bon niveau d’ensemble, la complexité et la longueur en bouche signent clairement un grand vin.

L’expression de truffe (tant au nez qu’en bouche) est également une signature des vins du clos Joliette.

Les vins produits au Clos Joliette sont des vins d’amateurs passionnés, de puristes à la recherche de perles rares (donc chères - de l’ordre de plusieurs centaines de francs) et confidentielles.

Ils nécessitent une approche attentive, car comme beaucoup de grands vins, ils ne se dévoilent pas facilement, n’ayant rien d’exubérant ou de racoleur.

Ce sont des vins qui excitent la curiosité, des vins racés pour lesquels le terroir l’emporte sur le millésime, des vins bâtis pour la garde.

Cette dégustation a donc confirmé l’opportunité d’un moment rare et privilégié. Les vins goutés ne sont pas tous exceptionnels (le 86 et le 65 nous sont décevants), mais sont dans l’ensemble à la hauteur de leur réputation, une réputation mythique et légendaire que notre article devrait contribuer à entretenir.